30 novembre 2009

Le bâton de parole

Originaire des amérindiens, cet outil possède un pouvoir difficilement imaginable pour celui qui ne l'a jamais employé.


Bien souvent, l'évocation de cet instrument soulève des réactions virulentes du type : "on ne va pas commencer à s'imposer des contraintes", "on est assez grands pour parler calmement", "on verra par la suite si on a du mal à s'écouter", "c'est pas un peu austère ce truc ?", etc.
Après l'avoir expérimenté pour la première fois cet été au sein du Rainbow français lors de cercles de parole pouvant réunir jusqu'à quarante personnes, je peux dire que toutes ces réactions craintives ne reposent sur rien de tangible et ne font que mettre en lumière nos peurs. En effet, l'utilisation de cet objet tracasse parce qu'il nous invite à l'humilité, l'humilité de reconnaître que nous ne sommes pas autant capables d'écoute que nous aimerions le croire, pas assez capable de gérer nos émotions afin qu'elles ne nuisent pas à la qualité de l'échange... et enfin à reconnaître que nous sommes nés dans un environnement qui n'a rien fait pour nous offrir cette sagesse, bien au contraire.

Les participants sont assis en cercle. Un objet est désigné comme faisant office de bâton de parole. Celui ou celle qui tient le bâton de parole en main est le seul à pouvoir parler tandis que les autres lui accordent leur attention. Une fois que le détenteur du bâton de parole estime n'avoir plus rien à ajouter, il le passe à son voisin de gauche, et ainsi de suite. Si la personne venant de recevoir le bâton de parole estime n'avoir rien à dire sur le moment, elle le passe simplement à son voisin de gauche.
Cette règle simple instaure d'elle-même l'ambiance idéale pour une écoute respectueuse et une expression calme, libérée de la crainte de pouvoir se faire couper la parole. Le bâton passant égalitairement entre toutes les mains de tous les participants, il offre la parole à chacun sans qu'elle ne soit confisquée par l'habitude de se l'accaparer. De plus, le temps que le bâton revienne à nous, nous avons eu le temps nécessaire de mûrir ce que nous souhaitons dire, tel le fruit qui tombe naturellement de l'arbre pour se donner à point. Au lieu de nous exprimer de manière impulsive en réaction à ce que nous venons d'entendre, nous le faisons par rapport à un tout et de manière posée. Le bâton de parole devient alors "le gardien de nos émotions".
Une personne peut intervenir sans que cela soit son tour à la seule condition que ce soit pour apporter un complément d'information bref , précis et nécessaire. Elle demande alors une "plume" à celle qui détient le bâton. Cette dernière est alors libre de lui accorder ou de lui refuser la plume. Ce cas particulier doit rester une rare exception.

J'avais proposé l'utilisation du bâton de parole lors de la toute première rencontre de Lyon Zéro ; il avait alors été rejeté. Il en fut de même pour les autres outils de communication que j'avais pu proposer.
Un constat s'impose : Lyon Zéro réunit des personnes très hétéroclites et aux fortes personnalités. Alors que nous débordons d'énergie, la société surpolluée dans laquelle nous évoluons nous empêche de nous épanouir comme nous l'aimerions. Au milieu de ce monde ultra-pressurisé qui ne nous propose que l'asphyxie, l'espace d'expression et de rencontre que nous offre Lyon Zéro, prend la forme d'une poche d'air. Pour que cet espace mystérieux puisse nous délivrer tous les bienfaits de sa magie, il est crucial que nous apprenions à y vivre en harmonie.
Aujourd'hui je pense que Lyon Zéro est suffisamment mature pour reconnaître que nous ne le sommes pas suffisamment.

La psychologie sociale a su démontrer que tout groupe d'individus de niveau intellectuel proche se comportait en deçà de ses capacités moyennes. Le bâton de parole est l'unique cas où j'ai pu observer l'effet opposé. Le cercle de parole devient alors vertueux et parvient à une efficacité décuplée. Je pense qu'il serait dommage que Lyon Zéro se prive de tels bienfaits.

Je mettrai deux bémols à cet article élogieux :
1. La pratique de la pleine écoute peut se montrer épuisante si elle dure trop longtemps, d'autant plus quand on n'y est pas accoutumé et quand le contenu est profond et dense. Pour cette raison le temps idéal d'un cercle utilisant le bâton de parole est d'environ 2 heures ; le parleur est également invité a user de son discernement pour ressentir à partir de quel moment son temps d'expression devient excessif.
2. Si cette pratique me semble idéale en ce qui concerne une décision à prendre au consensus, j'ignore si elle est adaptée pour mener un atelier (cela dépend probablement de son contenu et de son objectif). Il ne nous reste plus qu'à le tester dans ce contexte :)

Qui dit parle avec justesse n'a nul besoin de hausser la voix.

2 commentaires:

  1. Utiliser un bâton de parole me semble nécessaire lorsqu'un groupe se propose de réfléchir.

    Prendre la parole n'est plus un engagement politique. S'opposer farouchement, couper court à une hérésie, s'aligner pour convaincre l'autre, etc, relèvent du théâtre plus que de la politique et ces procédés un peu grossiers disparaissent avec le bâton de parole.
    Par conséquence, le propos soutenu retrouve toute son importance.

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